La pratique du réemploi dans le bâtiment a existé à travers toutes les périodes de l’histoire, qu’elle soit visible ou non, organisée ou non.
Dans l’Antiquité, nombre de villes sont massivement détruites volontairement ou non et reconstruites avec les éléments récupérés sur place, principalement par économie de moyens mais aussi pour des raisons politiques (preuve de force et de pouvoir). Contrairement à aujourd’hui où le réemploi est pratiqué pour des soucis plus écologiques, culturels, historiques que économiques. Les villes et même les édifices apparaissent ainsi comme le résultat d’une stratification : une accumulation de couches de matériaux et de composants dont il est souvent difficile de distinguer précisément les limites et l’origine; on définirait ça comme une réécriture de nouvelles histoires sur un support ancien.
Les matériaux les plus ordinaires sont utilisés en grande quantité pour des ouvrages utilitaires, comme les fortifications ou les remblais. Les éléments les plus ouvragés, qui intègrent une forte valeur de main-d’œuvre, mais aussi une dimension stylistique et symbolique, sont soigneusement intégrés dans des architectures savantes.
Cette pratique a été faite sur trois échelles

1- Echelle du bâti

Réutilisation de monuments
La cathédrale de Syracuse est un édifice majeur et emblématique de la ville, en plein centre historique de l’île d’Ortygie en Sicile. Construite autour d’un très ancien temple grec appelé temple d’Athéna, elle est réputée dans toute la méditerranée par sa monumentalité et la richesse de son décor d’or et d’ivoire.
Au VIIe siècle, des murs sont montés entre les colonnes extérieures ainsi que huit arcades entre celles de la “cella” du temple, formant ainsi les deux nefs latérales d’un édifice religieux chrétien “Cathédrale de Syracuse », première église chrétienne d’occident !
La particularité de cette intervention, c’est la reprise du temple, son intégration dans le nouvel édifice et la préservation de ses éléments; des pans de murs et des colonnes doriques sont encore visibles, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de la cathédrale.
Était-ce une décision anodine ?
En effet l’intégration du temple dans la cathédrale n’était pas sans intérêt. Il aurait bien pu être noyé mais tout a été gardé visible pour des raisons esthétiques, culturelles (préservation d’un témoin de l’histoire) mais surtout politiques. Cela représentait un signe de pouvoir et de victoire pour montrer que la chrétienté avait bien gagné face aux païens.
Enjeux: Politiques, religieux, historiques et symboliques

Construire avec des éléments de ruines
La cathédrale Notre-Dame de Nazareth (église-mère du diocèse de Vaison) a été construite au XIème siècle à l’emplacement d’édifice paléochrétien, selon un plan basilical, puis remaniée au siècle suivant.
Son architecture est très représentative de l’art roman provençal. L’une des caractéristiques de la cathédrale c’est la présence de vestiges antiques réemployés lors de sa construction notamment des colonnes antiques à l’intérieur de l’édifice et des tambours de colonnes et des chapiteaux réemployés en guise de fondations. On ignore la provenance exacte de ces éléments mais l’intégrité du matériau a bien été respecté car il a été déposé, reposé et non pas détruit.
Enjeux: Economiques

Construire sur les vestiges
Situé au sommet de l’Acropole, dominant la ville d’Athènes, le Parthénon est non seulement l’un des principaux temples doriques encore conservés, mais également le plus grandiose des monuments édifiés à l’époque de Périclès.
Au cours des siècles, le Parthénon a subi plusieurs mésaventures notamment des destructions, reconstructions et différentes transformations dont on cite :
Destruction en 480 av. JC par les perses ; reconstruction et incendie au Moyen-Âge ; transformé ensuite en église Byzantine en 1208 ; suite à la prise d’Athènes par les ottomans en 1456 le temple a été transformé en mosquée ; en 1687 il a servi de poudrière aux Turcs ; en 1697 les explosifs ont détonné et le Parthénon en a payé les conséquences engendrant son effondrement ; en 1699 la mosquée est reconstruite sur les vestiges et rasée en 1843.
Après tant de péripéties les investigations archéologiques débutent, on rase les éléments récents ne laissant que la structure originelle.
Pourquoi tant d’intérêt a construire sur le même site ?
L’emplacement du Parthénon lui confère à la fois une importance défensive, religieuse, politique et symbolique !
Sa position élevée lui confère une aura de sacré et de puissance renforçant ainsi le prestige et l’autorité, une visibilité impressionnante depuis différents points de la ville et même de la mer faisant de lui un point de repère emblématique et permettant aux défenseurs d’avoir une vue panoramique sur les environs et de mieux se protéger en plus de son importance religieuse et politique.
Enjeux : Politiques, religieux, historiques, défensifs et symboliques
2-Eléments architectoniques
Ancien prieuré de la Trinité-Saint-Pierre-et-Saint-Paul
Marcigny en Brionnais conserve deux monuments roman de son passé monastique : l’ancien prieuré clunisien de la Trinité et l’église Saint-Nicolas.
Le premier fut fondé en 1056 par saint Hugues, abbé de Cluny. C’était un monastère important de religieuses moniales clunisiennes. L’enceinte du monastère englobait également une communauté de moines bénédictins, utilisant l’église Saint-Nicolas. Le prieuré fut démantelé, vendu et détruit à la Révolution.
L’ancienne priorale, dédiée à Saint-Pierre-et-Saint-Paul, fut presque entièrement détruite, plusieurs éléments architectoniques issus de ces destructions sont actuellement englobés dans les bâtiments de l’Hôtel de la Prieure du 18e siècle : un arc muré du bras sud du transept, converti en écurie, et des traces de voûtes sur deux niveaux de l’ancien narthex. La façade du bâtiment regroupe plusieurs réemplois de sculptures provenant du prieuré : un tympan, une statue, une colonne et plusieurs modillons et reliefs sculptés de personnages et d’animaux.

La basilique Saint Marc de venise, l’un des monuments les plus emblématiques d’Italie du fait de sa monumentalité, sa beauté artistique et sa richesse architecturale grâce a ses décorations somptueuses notamment ses mosaïques en or couvrant une surface de 8 000 mètres carrés, ses marbres, ses sculptures et ses colonnes d’époque byzantine…
Les colonnes et les chapiteaux de la Basilique proviennent principalement de Constantinople (aujourd’hui Istanbul). Ils ont été pillés lors de la quatrième croisade et réutilisés dans la construction et la décoration de la Basilique. Leur intégration a contribuée à la création d’un mélange stylistique unique.
Cet élément architectural témoigne non seulement de l’histoire de la région, marquée par les croisades et les interactions entre l’Orient et l’Occident, mais aussi de l’importance de la Basilique Saint-Marc en tant que symbole de la richesse et de la puissance de la République de Venise à son apogée.
3-Objets et mobilier
Trône de Dagobert
Le siège appelé « trône de Dagobert » est conservé depuis 1791 au cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France. L’élément principal – un pliant en bronze doré – a été réalisé, sur un modèle romain de chaise curule, peut-être au VIIe siècle ; on ignore si le roi des Francs Dagobert Ier (629-639) s’y est jamais assis… Il a été complété par des accoudoirs et un dossier à l’époque carolingienne.
Il appartenait sans doute au trésor de l’abbaye de Saint-Denis ; l’abbé Suger, vers 1130, raconte l’avoir fait restaurer car il était « vieux et cassé » .
Il eut sa dernière heure de gloire quand, en août 1804, alors que l’intérêt pour les Francs commence de refaire surface dans les lettres et les arts, Napoléon le fait apporter au camp de Boulogne et y pose son séant pour distribuer des Légions d’honneur.

La coupe des Ptolémées
Cette coupe est l’un des trois plus beaux vases-camées antiques; d’une rare virtuosité technique, elle est taillée dans une seule énorme géode de sardonyx. Elle appartenait initialement à l’empire égyptien puis à l’empire romain suite a la prise d’Egypte par les romains et retransmise par la suite d’empire en empire et de siècle en siècle jusqu’à ce qu’elle tombe entre les mains de Charles le Chauve qui l’a complété d’une monture d’orfèvrerie, enrichie de saphirs, d’émeraudes, perles et grenats. Elle était utilisée à Saint-Denis lors du sacre des reines de France. C’est au XVIIe siècle qu’elle reçoit l’appellation de « coupe des Ptolémées », en référence aux vases exposés lors d’une procession dionysiaque organisée par Ptolémée II Philadelphe au IIIe siècle av. J.-C.







