Est ce que réemployer, c’est conserver ?

La question de savoir si le réemploi des éléments anciens peut être considéré comme une forme de conservation du patrimoine suscite un débat intéressant.
D’un côté, le réemploi s’inscrit dans une démarche écologique, favorisant la durabilité et réduisant l’empreinte carbone des projets de construction. En réutilisant des matériaux existants, on limite la production de nouveaux matériaux et la génération de déchets, contribuant ainsi à une gestion plus responsable des ressources. Cependant, la conservation du patrimoine implique également le maintien de l’intégrité historique et architecturale des éléments, ce qui peut entrer en conflit avec certaines pratiques de réemploi. Alors que certains voient le réemploi comme une extension de la conservation, d’autres estiment qu’il peut parfois dénaturer l’authenticité des monuments historiques​.

A travers cet article, nous allons explorer dans quelle mesure cette pratique peut être alignée avec les principes de la conservation du patrimoine.

Oui!

réemployer c’est conserver !

Le réemploi des éléments anciens dans des projets de construction ou de rénovation peut être considéré comme une forme de conservation du patrimoine, bien que cela dépende du contexte et des méthodes utilisées.

Pour cela voici quelques points clé à considérer :

  • Réutilisation et reconversion : la réutilisation d’édifices anciens et l’attribution d’une nouvelle fonction pourraient être considérés comme étant de la conservation de patrimoine si les conditions d’intervention mentionnées sur les chartes (charte d’Athènes) sont respectées, à savoir :
    Réversibilité : des interventions dans la mesure du possible, afin de permettre d’éventuelles modifications sans compromettre la valeur historique du monument.
    Lisibilité des rajouts : car il convient de respecter les caractéristiques architecturales et stylistiques du monument, en se démarquant du style existant par un contraste stylistique.
    – La documentation : toute intervention doit être soigneusement documentée, incluant des relevés avant, pendant et après les travaux. Cette documentation est essentielle pour les futures études et interventions… Tout comme pour le réemploi !

Exemple : La librairie Selexyz Dominicanen, anciennement église …..

La librairie Selexyz Dominicanen de Maastricht (Belgique) est installée à l’intérieur d’une église gothique dominicaine vieille de 800 ans. L’extérieur de l’église est maintenu à l’état originel, en effet, aucune intervention n’y a été effectuée.
Au niveau de l’intérieur, on constate une préservation totale du cachet architectural d’origine et l’absence de gros travaux, mais le rajout d’une structure métallique légère dans un style bien distinct du style d’origine.
Principes d’intervention : maintien de la trace ancienne par la restauration des fresques et autres éléments de l’église, intervention minimale (structure métallique légère, aucun cloisonnement, aucune atteinte à la structure d’origine).

  • Conservation intégrée : lorsqu’on réutilise des éléments anciens dans de nouveaux projets de construction ou de rénovation, cela peut être vu comme une manière de conserver le patrimoine architectural et historique. Par exemple, intégrer des pierres ou des pièces de bois anciennes dans une nouvelle construction peut préserver des techniques de construction traditionnelles et des matériaux historiques. Ces travaux doivent par ailleurs être réalisés sous la supervision de spécialistes en conservation du patrimoine pour garantir que les interventions respectent les normes établies. Exemple : l’Église Jeanne d’Arc (voir article)
  • Authenticité et intégrité : La conservation du patrimoine cherche souvent à préserver l’authenticité et l’intégrité des structures et des objets. Si le réemploi des éléments anciens respecte ces principes, il peut être considéré comme une forme de conservation.
    Par exemple, réutiliser des éléments d’une église dans la restauration de cette même église peut aider à maintenir son intégrité historique (beaucoup moins s’ils sont réemployés dans un centre commercial par exemple !). Cependant les techniques employées doivent être conformes aux méthodes traditionnelles et aux matériaux d’origine, sauf si des techniques modernes peuvent offrir de meilleures solutions sans compromettre l’intégrité de l’édifice.
  • Valeur Patrimoniale : Tous les éléments anciens n’ont pas la même valeur patrimoniale. Certaines pièces peuvent être considérées comme ayant une grande valeur historique, artistique ou culturelle, et leur réemploi dans un autre contexte pourrait diminuer cette valeur. Dans ce cas, il pourrait être préférable de conserver ces éléments dans leur contexte d’origine ou dans des musées.

Le réemploi des matériaux anciens peut également être vu sous l’angle de la durabilité et de l’écologie. En réutilisant des matériaux déjà existants, on réduit la demande de nouvelles ressources et on limite les déchets. Cela peut être considéré comme une approche moderne et responsable de la conservation du patrimoine matériel.

Exemple : L’église Notre-Dame-de-l ’Assomption

Le séisme de 2019 en Ardèche avait malmené le patrimoine religieux de la région. Trois bâtiments ont été ébranlés, dont l’église Notre-Dame-de-l ’Assomption, édifice dominant le paysage urbain de la ville du Teil depuis 1897. Suite aux dégâts qu’a subis cette dernière et à défaut de fonds pour sa restauration, sa déconstruction a été la solution la plus rentable. Selon Re.Source Réemploi, collectif qui accompagne le volet réemploi, ce seront au terme de cette opération 521m3 de pierres qui seront entreposées pour un réemploi ultérieur au sein de quatre projets :

  • La construction d’une nouvelle église en centre-ville, en cours d’étude par l’agence d’architecture TEXUS ARCHITECTES
  • La création de la place Jean Macé, à l’emplacement même de l’église actuelle, en début de conception par PLAN B
  • La création de deux placettes dans les quartiers Robespierre et Mélas, par ATELIER L. PAYSAGE & URBANISME

En résumé, le réemploi des éléments anciens peut contribuer à la conservation du patrimoine bâti, mais il pourrait toutefois ne pas être considéré de la sorte pour diverses raisons.

Non!

réemployer ce n’est pas conserver !

 Le réemploi d’éléments anciens peut ne pas être considéré comme étant de la conservation du patrimoine pour les raisons suivantes :

  •  Perte d’Authenticité Historique :

La conservation du patrimoine vise à préserver l’intégrité et l’authenticité des structures historiques. Le réemploi d’éléments anciens dans de nouvelles constructions ou rénovations peut altérer l’authenticité des monuments. En modifiant ou en déplaçant des éléments historiques, on risque de dénaturer le contexte d’origine et la signification historique des structures.​

  • Modification de l’Intégrité Architecturale :

La conservation implique le maintien de l’intégrité architecturale des bâtiments. Lorsque des éléments anciens sont réemployés, ils sont souvent adaptés ou modifiés pour s’intégrer dans de nouveaux contextes, ce qui peut compromettre l’intégrité structurelle et architecturale des monuments originaux.

Exemple : Eglise convertie en Habitation

Projet de conversion d’une église en une maison familiale aux Etats-Unis. La maison présente des détails historiques de l’église avec des vitraux d’origine, un clocher, des briques apparentes et des tendeurs de plafond, les finitions quant à elles ont été sélectionnées pour créer une ambiance branchée et éclectique

Dans ce type d’intervention, l’édifice originel est restauré et conservé d’un point de vue structurel. Cependant, le patrimoine en tant que tel n’a pas été préservé, car les interventions trop lourdes ont entraîné une perte de cachet, d’authenticité, et ont porté atteinte à son intégrité architecturale et historique.

  • Absence de Cohérence Historique :

Le réemploi peut mener à des anachronismes architecturaux, où des éléments provenant de différentes époques et styles sont combinés de manière incohérente. Cela peut nuire à la compréhension historique et esthétique du bâtiment original, et à la capacité des futurs chercheurs et visiteurs de percevoir l’évolution et le contexte historique authentique du site.​

  • Manque de Documentation et de Traçabilité :

Dans le processus de réemploi, les éléments anciens peuvent perdre leur traçabilité et leur documentation historique. Sans une documentation précise, il devient difficile de savoir d’où proviennent les matériaux et quelle était leur fonction initiale. Cela complique la tâche des historiens et conservateurs qui cherchent à étudier et à préserver l’histoire de l’architecture​.

  • Risques de Détérioration :

Les éléments anciens peuvent être fragiles et ne pas être adaptés aux nouvelles utilisations ou aux techniques de construction modernes. Leur réemploi sans une expertise adéquate peut entraîner des dommages supplémentaires, compromettant ainsi leur longévité et leur valeur patrimoniale

Exemple : Fresque « Ecce Homo » de Borja, Espagne

http://www.archyde.com

Une restauratrice amateure a tenté de rénover cette fresque, mais a gravement déformé l’image du Christ, la transformant en une figure comique et méconnaissable. Cet exemple illustre parfaitement les conséquences des interventions non professionnelles sur le patrimoine. Sans faire appel à des experts et sans utiliser les techniques et matériaux appropriés, le risque de dommages irréversibles est élevé et une atteinte a la valeur patrimoniale de l’élément en question est inévitable.

Exemple insolite !


La réutilisation de cet édifice a nécessité des interventions et l’installation de divers réseaux pour l’adapter à sa nouvelle fonction. Cependant, ces modifications ont altéré son intégrité et détérioré son image. Par conséquent, ce type d’intervention n’est pas considéré comme une conservation du patrimoine en raison des dommages causés.

En résumé, le réemploi des matériaux et édifices anciens peut être considéré comme une forme de conservation du patrimoine, à condition qu’il soit effectué avec respect, expertise et en accord avec les principes de conservation établis.
Il représente une approche moderne et durable qui, lorsqu’elle est bien mise en œuvre, contribue à la préservation du patrimoine bâti tout en respectant l’environnement. Cependant, il est essentiel de garantir que chaque intervention soit soigneusement planifiée et exécutée par des professionnels qualifiés pour éviter les dommages irréversibles et préserver la valeur patrimoniale des éléments réutilisés.